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PUBLICITÉ Alors qu'une opération nationale ce «barbouillage» doit avoir lieu ce soir
Les nouveaux publiphobes affichent leurs convictions
Un nouvel appel national au recouvrement d'espaces
publicitaires – le cinquième, en cinq mois – a été lancé, depuis
Marseille, via Internet. Samedi soir à 19 heures, les publiphobes
doivent se retrouver dans le métro parisien et ailleurs, munis de pots
de peinture et de stylos à large bord pour une opération de
«barbouillage» collectif. En réponse, la RATP s'apprête à rendre public
un sondage mené auprès des voyageurs. «Plus de 70% d'entre eux
estiment que la publicité rend leur trajet plus agréable», indique
Bernard Averous, directeur commercial de la régie de transport.
Delphine Chayet
[28 février 2004]
Par petits commandos, une nouvelle génération de publiphobes est descendue dans le métro pour exercer son «droit de réponse légitime à l'envahissement publicitaire». Munis de pots de peinture et de pinceaux, de marqueurs à large tracé ou de bombes, les activistes inscrivent sur les affiches leur «ras-le-bol de la pub», leur rejet «de la marchandisation du monde» ou leur révolte parce que «la femme n'est pas à vendre».
Le mouvement, qui se dit «citoyen et spontané», est né à l'automne dernier, dans les manifestations et débats organisés par les intermittents du spectacle en grève. Bientôt, l'idée est reprise par un petit groupe qui rédige le premier appel national au recouvrement d'espaces publicitaires. Le rendez-vous est fixé au 17 octobre. Consignes: se déplacer en petits groupes et tagger le maximum d'affiches sans jamais dégrader le matériel fixe. Le texte, qui porte la signature mystérieuse de Robert Johnson, passe de mains en mains dans les manifestations parisiennes avant de trouver son véritable public sur Internet, où un jeune informaticien l'a placé.
Ils seront trois cents lors de cette première action, plus de quatre cents le 7 novembre et au moins cinq cents les 28 novembre et 19 décembre. «Tous ces gens ne se connaissaient pas mais l'appel a répondu à une attente. D'où son succès. Il y a manifestement aujourd'hui un renouveau de l'activisme anti-pub», souligne Yvan Gradis, militant historique et créateur en 1990 du Publiphobe, première publication du genre en France. Dans son sillage seront fondées les associations engagées dans un combat légaliste, souvent avec succès: Paysages de France et Résistance à l'agression publicitaire en 1992, Casseurs de pub en 1999, puis l'association féministe La Meute en 2000. Certaines d'entre elles, trop heureuses de voir la jeune génération s'activer, ne cachent pas leur sympathie pour le mouvement, sans le soutenir matériellement. Yvan Gradis se voit bien ainsi, vis-à-vis de ces nouveaux publiphobes, dans la peau de «l'adulte regardant son enfant avec tendresse, en sachant qu'il est en train de faire une bêtise».
«Pour se faire entendre et créer enfin un débat, le seul moyen est la désobéissance civile puisque la publicité nous est à tous imposée», a expliqué en janvier un publiphobe, lors d'une conférence de presse tenue en soutien aux 62 personnes convoquées le 10 mars prochain au tribunal de grande instance de Paris.
Entre-temps, Métrobus – régie publicitaire de la RATP – a en effet mûri sa réponse. «Le débat a beau être légitime, il doit rester sur un terrain légal», précise son directeur, Gérard Hunger. La filiale de Publicis réclame aux 62 assignés quelque 980 000 euros de dommages et intérêts, équivalent des frais de collage supplémentaires et des repasses consenties aux annonceurs.
«Depuis sa première campagne en 1900 – «Dubo, Dubon, Dubonnet» – pour l'apéritif éponyme, le métro parisien et la publicité ont deux histoires liées», remarque Bernard Averous, directeur commercial de la RATP. Surtout, l'entreprise publique s'inquiète de voir une manne financière menacée: chaque année, la publicité rapporte à la régie 65 millions d'euros sur ses trois milliards de budget. L'équivalent, souligne-t-elle, de deux rames de métro, de trois cents bus ou de la rénovation d'une centaine de stations cumulées.
Le 19 décembre, Rémy Douat, 28 ans, est verbalisé sur la ligne 2, après avoir participé pour la première fois au barbouillage collectif. «J'ai agi parce que j'étais heurté par le sexisme des affiches», dit-il. De la même manière, 276 procès-verbaux ont été dressés en quatre mois. «La RATP et Métrobus veulent démontrer que le mouvement a un donneur d'ordres et une organisation pyramidale, note Me Alexandre Faro, avocat des assignés. Mais ce n'est pas le cas.» Pour Me Agnès Petters, leur deuxième conseil, «l'argument juridique ne tient pas: on ne peut être condamné qu'aux dégradations qu'on a soi-même causées». Les nouveaux publiphobes, qui disent venir d'horizons très divers et poursuivent souvent une action individuelle, ont leur sensibilité écologique pour point commun.
Ils dénoncent aussi le conditionnement des esprits, le détournement pour un profit économique de valeurs telles que la beauté, la réussite ou la liberté et la monopolisation de l'espace public. Très actif à Paris, le mouvement est pour le moment sporadique en province. «Mais ce qui s'est passé cet automne est éminemment important: un tabou est tombé», indique Yvan Gradis, certain que la nouvelle génération ne va pas s'essouffler tandis que la RATP confie son désarroi. «Nous sommes touchés et dérangés parce que cette contestation brutale ne vient pas de nos ennemis mais de ceux qui défendent le service public.»-->Par
petits commandos, une nouvelle génération de publiphobes est descendue
dans le métro pour exercer son «droit de réponse légitime à
l'envahissement publicitaire». Munis de pots de peinture et de
pinceaux, de marqueurs à large tracé ou de bombes, les activistes
inscrivent sur les affiches leur «ras-le-bol de la pub», leur rejet «de
la marchandisation du monde» ou leur révolte parce que «la femme n'est
pas à vendre».
Le mouvement, qui se dit «citoyen et spontané», est né à l'automne
dernier, dans les manifestations et débats organisés par les
intermittents du spectacle en grève. Bientôt, l'idée est reprise par un
petit groupe qui rédige le premier appel national au recouvrement
d'espaces publicitaires. Le rendez-vous est fixé au 17 octobre.
Consignes: se déplacer en petits groupes et tagger le maximum
d'affiches sans jamais dégrader le matériel fixe. Le texte, qui porte
la signature mystérieuse de Robert Johnson, passe de mains en mains
dans les manifestations parisiennes avant de trouver son véritable
public sur Internet, où un jeune informaticien l'a placé.
Ils seront trois cents lors de cette première action, plus de quatre
cents le 7 novembre et au moins cinq cents les 28 novembre et
19 décembre. «Tous ces gens ne se connaissaient pas mais l'appel a
répondu à une attente. D'où son succès. Il y a manifestement
aujourd'hui un renouveau de l'activisme anti-pub», souligne Yvan
Gradis, militant historique et créateur en 1990 du Publiphobe, première
publication du genre en France. Dans son sillage seront fondées les
associations engagées dans un combat légaliste, souvent avec succès:
Paysages de France et Résistance à l'agression publicitaire en 1992,
Casseurs de pub en 1999, puis l'association féministe La Meute en 2000.
Certaines d'entre elles, trop heureuses de voir la jeune génération
s'activer, ne cachent pas leur sympathie pour le mouvement, sans le
soutenir matériellement. Yvan Gradis se voit bien ainsi, vis-à-vis de
ces nouveaux publiphobes, dans la peau de «l'adulte regardant son
enfant avec tendresse, en sachant qu'il est en train de faire une
bêtise».
«Pour se faire entendre et créer enfin un débat, le seul moyen est la
désobéissance civile puisque la publicité nous est à tous imposée», a
expliqué en janvier un publiphobe, lors d'une conférence de presse
tenue en soutien aux 62 personnes convoquées le 10 mars
prochain au tribunal de grande instance de Paris.
Entre-temps,
Métrobus – régie publicitaire de la RATP – a en effet mûri sa
réponse. «Le débat a beau être légitime, il doit rester sur un terrain
légal», précise son directeur, Gérard Hunger. La filiale de Publicis
réclame aux 62 assignés quelque 980 000 euros de dommages et
intérêts, équivalent des frais de collage supplémentaires et des
repasses consenties aux annonceurs. «Depuis sa première campagne
en 1900 – «Dubo, Dubon, Dubonnet» – pour l'apéritif éponyme, le métro
parisien et la publicité ont deux histoires liées», remarque Bernard
Averous, directeur commercial de la RATP. Surtout, l'entreprise
publique s'inquiète de voir une manne financière menacée: chaque année,
la publicité rapporte à la régie 65 millions d'euros sur ses trois
milliards de budget. L'équivalent, souligne-t-elle, de deux rames de
métro, de trois cents bus ou de la rénovation d'une centaine de
stations cumulées.
Le 19 décembre, Rémy Douat, 28 ans, est verbalisé sur la
ligne 2, après avoir participé pour la première fois au
barbouillage collectif. «J'ai agi parce que j'étais heurté par le
sexisme des affiches», dit-il. De la même manière,
276 procès-verbaux ont été dressés en quatre mois. «La
RATP et Métrobus veulent démontrer que le mouvement a un donneur
d'ordres et une organisation pyramidale, note Me Alexandre Faro,
avocat des assignés. Mais ce n'est pas le cas.» Pour Me Agnès
Petters, leur deuxième conseil, «l'argument juridique ne tient pas: on
ne peut être condamné qu'aux dégradations qu'on a soi-même causées». Les
nouveaux publiphobes, qui disent venir d'horizons très divers et
poursuivent souvent une action individuelle, ont leur sensibilité
écologique pour point commun.
Ils dénoncent aussi le
conditionnement des esprits, le détournement pour un profit économique
de valeurs telles que la beauté, la réussite ou la liberté et la
monopolisation de l'espace public. Très actif à Paris, le mouvement est
pour le moment sporadique en province. «Mais ce qui s'est passé cet
automne est éminemment important: un tabou est tombé», indique Yvan
Gradis, certain que la nouvelle génération ne va pas s'essouffler
tandis que la RATP confie son désarroi. «Nous sommes touchés et
dérangés parce que cette contestation brutale ne vient pas de nos
ennemis mais de ceux qui défendent le service public.»
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